Mars 2023J'ai eu beau promettre il y a peu d'être sage, la rondeur de l'astre de la nuit est pour moi période de chasse... J'apporte hypocritement ma pierre à l'édifice de la cohabitation pacifique et du respect mutuel, le « laisser vivre » en paix... jurant de n'écourter de vies humaines qu'achevées, presque au bout de leur chemin... Si je suis honnête, il me faut avouer que goûter des esprits chargés d'ans et d'expérience ne me pèse en rien, bien au contraire.
Et puis, pourquoi ne fait-on pas jurer à tous de cesser de respirer ! Il y a des choses immuables, impossibles à changer, chasser lorsque la lune est pleine est de celles là.
Je musarde le nez en l'air, ayant évité cette grande demeure rachetée il y a peu et dont les récents propriétaires ont planté toutes les variétés de magnolias acclimatables dans la région ! À se demander ce qu'ils avaient derrière la tête ! Mais je me fais des idées bien sûr -les humains, britanniques de surcroît- n'ont aucune notion de l'effet de ces maudites fleurs !
Comment auraient-ils connaissance de notre espèce. Nous sommes pour eux du folklore, de jolies estampes illustrant des contes parfois coquins où un humain naïf tombe amoureux d'une belle renarde. La fin en est toujours la même, la bête est punie et l'homme ouvre les yeux, heureux d'avoir recouvré son jugement ! N'ai-je pas vu ce spectacle des dizaines de fois ? A l'époque où nous étions nombreux, ou certains d'entre nous se risquaient, par jeu ou intérêt, jusqu'aux villages voisins ? Ce soir, je peux m'autoriser la tristesse et le regret, je cherche une proie ! Et rien ni personne ne se mettra entre elle est moi.
Du haut de la falaise, je regarde l'eau se jeter sur la plage, amenée du large en rouleaux disciplinés. Tout dans cette fin de nuit est parfaitement mesuré, la falaise, la lande, la plage, le ciel, la lune... Une nuit calme et rangée, une nuit sage qui sans le froid verrait sortir des amoureux, des braconniers aussi, et des vieillards obstinés qui se lèvent avant le soleil et refont -sans le chien- la promenade qu'ils lui ont fait faire des années avant d'admettre à sa mort qu'ils étaient trop âgés pour en reprendre un. Les chiens ne me manquent pas... Je ne les aime pas, et ils me le rendent.
Le nez au vent, j'hume l'air, je me permets joyeux de chasser une souris qui pense sa fin arrivée, de poursuivre un oiseau aussi... Je me retrouve renardeau, j'ai presque l'illusion que mon frère jaillira -son pelage rouge hirsute comme toujours- pour me sauter dessus et me rouler dans l'herbe froide !
Je vais... en direction d'un toute petite bicoque. Elle ne paye pas de mine, l'homme qui l'habite non plus. Pourtant, l'avant goût du festin que je vais faire me fait presque saliver, un puits de connaissances diverses, esthète, écrivain, peintre, amoureux des arts et des artistes... Un homme érudit et réfléchi, désireux de comprendre avant de juger... Il est si vieux, si seul... Allons donc ! Eiji ! Tu vas juste te faire un plaisir exquis.
Puis, une odeur presque oubliée me stoppe net, les yeux écarquillés, cherchant dans la nuit encore noire malgré la promesse de l'aube bientôt. Abasourdi, j'espère et je redoute ! Puis, mes yeux surpris se mettent à briller : j'attends !